A. Batt, A. Campeon, D. Leguay, P. Lecorps (2007) Épidémiologie du phénomène suicidaire : complexité, pluralité des approches et prévention
Dans cet article, il est montré ce que le « phénomène suicidaire » recouvre de nos jours, comment il est appréhendé et – préoccupation plus récente – comment il fait l’objet d’une volonté de prévention. L’exposé comprend les définitions de l’objet étudié, le rappel des méthodes de recueil de données et des discussions liées aux inévitables variations des approches, un bref repérage spatiotemporel. Sont présentés les acquis recueillis dans la littérature biomédicale, celle des sciences humaines et/ou scientifique, principalement centrés sur les domaines les plus susceptibles d’interroger les médecins et les intervenants tout au long du processus suicidaire. La méthode suivie vise à apporter au praticien les informations disponibles mais aussi à lui présenter le questionnement et le regard critique de professionnels pour lui permettre d’interroger sa pratique et l’intérêt d’une meilleure insertion dans une démarche communautaire. Enfin, du fait de l’amplification au cours des années, dans la littérature biomédicale et institutionnelle, de la question de la prévention sous ses différents aspects nous abordons la question de la légitimité et de l’éthique d’actions collectives susceptibles d’aller au-devant d’une problématique qui relève tout d’abord de l’ordre privé mais aussi largement de l’ordre social. Différentes approches (clinique, sociologique, éthique) sont confrontées dans ce texte. Leur complémentarité ne fait pas de doute.
Milieu carcéral
La détention en milieu carcéral est une période difficile. L’incarcération fragilise le sujet de multiples manières (enfermement, éloignement familial, isolement, rupture sociale, etc.) et il n’est pas étonnant que la prévalence du suicide en milieu carcéral soit importante, notamment dans les premiers mois de détention (9 % des suicides sont réalisés pendant la première semaine, 17 % pendant le premier mois, 34 % durant les
3 premiers mois). Le rapport sur le suicide en milieu carcéral en 2001- 2002 fait état d’un nombre important de suicides puisque le nombre total était de 122 en 2002, de 104 en 2001 et était seulement de 39 en 1980, 59 en 1990 avec un pic de 136 en 1996. Le nombre de suicides est rapporté à la population moyenne détenue qui a augmenté de 11 % en 2002, soit 48 318 en 2001 et 53 510 en 2002. Le taux de suicide est ainsi pour 10 000 personnes détenues de 21,5 en 2001 et 22,8 en 2002. La Figure 7 fait apparaître une tendance à l’augmentation du phénomène suicidaire (suicide et tentative) avec l’âge, tendance qui oscille à des niveaux assez élevés depuis 1994. Une nuance cependant : le taux de suicide des moins de 18 ans est plus élevé que dans le reste de la population puisque dans cette tranche d’âge, le taux de suicide en détention est de près de 20 fois supérieur.
Enfin, le taux de suicide en population générale, qui est trois fois moindre pour les femmes, est très supérieur en détention puisqu’il s’élève à 26,2 pour 10 000 contre 23,1 pour 10 000 pour leurs homologues masculins (soulignons, pour éviter toute confusion dans la lecture de ces résultats, que l’habitude est d’utiliser des taux pour 10 000 en milieu pénitentiaire et pour 100 000 en population générale). Le mode de suicide par
pendaison est largement majoritaire (92 % des cas). Le phénomène suicidaire en établissement pénitentiaire doit être confronté aux données épidémiologiques existantes portant sur les pathologies mentales avérées. Une méta-analyse conduite par Fazel et al. retrouve chez les hommes incarcérés 3,7 % de psychoses chroniques (au sens du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, 4e édition, [DSM IV]), 10 % de
troubles dépressifs caractérisés, et 65 % de troubles de la personnalité incluant 47 % de personnalités antisociales. Chez les femmes, ils constatent respectivement 4 % de psychoses chroniques, 12 % de troubles dépressifs et 42 % de troubles de la personnalité, avec 21 % de personnalités antisociales. L’étude transversale coordonnée par l’INSERM et conduite en France en 2003-2004 sur un échantillon représentatif de 799 détenus a retrouvé une prévalence ponctuelle, selon une analyse fine fondée sur l’avis conforme indépendant de deux psychiatres, de 18 % d’états dépressifs, de 10 % de dépendance aux drogues, et de 3,8 % de troubles schizophréniques. Dans un tel contexte, commun à l’ensemble des pays développés, la prégnance de la problématique suicidaire est inévitablement majeure. Comme nous le verrons plus loin, il serait toutefois réducteur d’en conclure, comme la tentation en est parfois exprimée, que le suicide en détention est le fait des populations de malades psychiques que la société aurait commodément choisi d’exclure de son sein. À tout le moins peut-on y voir, au même rang que les manifestations de souffrance psychique qui feront support au diagnostic de la pathologie, l’indice du sentiment d’échec lié à la prise de conscience de l’impasse objective, et subjective, qui a conduit le sujet à la relégation. Ainsi, suicide et pathologie seraient deux conséquences d’une conduite d’échec, d’une marginalisation sociale autoprovoquée, qui serait d’autant plus humiliante qu’elle ne serait pas la conséquence, extériorisable, de la pathologie.
http://psychologie-m-fouchey.psyblogs.net/Epidemiologie_du_phenomene_suicidaire.pdf
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